Et la dragonne est de retour pour ce premier compte-rendu scientifisant ! Aujourd’hui, on s’intéresse à ce que la science dit vraiment sur l’organisation sociale des loups (les vrais), avant d’extrapoler sur les loups-garous. Ça vous tente ? Alors on est partis.
1. Les loups
1a. Un mythe bien ancré
Alpha, bêta, oméga, dominants, soumis… Un couple alpha qui tient tous les autres loups sous sa coupe à coups de crocs et d’intimidation et est le seul à pouvoir se reproduire, des subordonnées qui tentent fréquemment de leur piquer la place, des omégas qui font office de souffre-douleur… Ça vous parle ? C’est comme ça que vous voyez les loups ? Oui ? Bon, alors vous pouvez sans doute oublier, parce que la réalité… est plus compliquée que ça.
Très largement populaire, cette idée reçue se base sur des études menées par Rudolf Schenkel dans les années 40, puis par Lucyan David Mech dans les années 70. Le souci, c’est que ces études avaient été réalisées dans des conditions bien particulières : sur des loups en captivité. Autrement dit, sur des meutes créées artificiellement par l’homme, et qui plus est dans un environnement stressant.
Lorsque des observations plus poussées ont été menées sur des meutes de loups sauvages dans leur milieu naturel… Les chercheurs·ses n’ont pas vraiment trouvé les mêmes résultats. Au point que Mech lui-même a reconnu en 1999 que ses études avaient été biaisées, et que les analyses sociologiques basées sur la notion de mâle (ou couple) alpha n’avaient aucune base solide.
1b. À l’état naturel : une histoire de famille
Pour faire simple, une meute de loups est une famille : un couple reproducteur et leur descendance des dernières années. Des variations peuvent exister autour de ce schéma (couple reproducteur accompagné d’un frère ou d’une sœur, famille monoparentale après la mort de l’un des partenaires,…) mais il s’agit généralement d’un état transitoire. Le couple « dominant » est donc simplement un couple parental qui protège et maintient l’ordre parmi ses enfants.
Lorsque les jeunes loups vieillissent (dès la première année et jusqu’à 4 ans), ils finissent par quitter la meute, les mâles aussi bien que les femelles. Ils voyagent sur une distance variable (entre quelques dizaines de kilomètres jusqu’à plusieurs centaines de kilomètres), jusqu’à trouver un·e partenaire avec qui s’accoupler. Ce nouveau couple va s’installer sur un nouveau territoire vierge, puis fonder une famille (et donc une nouvelle meute). Et le cycle peut recommencer.
Par conséquent, il y a peu de réelle tension au sein du groupe, ou de tentative de putsch. Pour les jeunes loups, il est plus simple d’aller chercher l’amour ailleurs que de tuer l’un des parents ! Autre conséquence, les fameux « loups solitaires » largement médiatisés n’existent donc pas vraiment. Il s’agit simplement de jeunes loups qui viennent de quitter leur meute, et sont à la recherche d’un nouveau territoire et d’un.e partenaire.
Parmi les variations possibles, on peut signaler la présence de loups « adoptés ». Il s’agit de jeunes loups (entre 1 et 3 ans) qui sont acceptés dans une meute, souvent de manière transitoire. Ces cas sont malgré tout relativement rares : toute rencontre d’une meute avec un solitaire adulte se finit souvent en combat. Pour qu’un adulte soit accepté dans une meute, il faut qu’il comble un manque bien précis : celui de l’un des deux reproducteurs. Dans ce cas, un mâle ou une femelle externe sera intégré pour combler ce manque. En revanche, inutile de venir tuer l’un des reproducteurs pour prendre sa place : ce n’est pas comme ça que ça marche !
1c. En captivité : un souci d’artificialité
Dans le cas de meute en captivité, le cas est différent. Outre le stress, cela est (ou plutôt était, de nombreux zoos ou parc ayant adapté leurs pratiques) souvent causé par le fait que les loups qui étaient réunis n’appartenaient pas à la même famille.
Il s’agissait d’étrangers balancés ensemble dans un espace bien trop restreint et qui n’avaient pas d’autres choix que de trouver un semblant d’équilibre. Et c’est ce conflit interpersonnel qui menait à une hiérarchie artificielle et forcée, basée davantage sur l’intimidation et la force des loups en présence. En gros, le plus fort fait sa loi. Ce sont les rares cas où parler de dominance et de soumission (et donc de loup alpha, oméga, etc.) a vraiment du sens.
2. D’accord, mais les garous ?
Bon, tout ça, c’est bien beau, mais… mais des loups-garous, ce ne sont pas des loups, ce sont aussi des humains (yep, la dragonne aime enfoncer des portes ouvertes). Et bien sûr, cela va obligatoirement jouer sur les relations au sein des meutes.
Et le choix de la dynamique du groupe (meute naturelle, meute artificielle, etc.) va principalement dépendre de la manière dont est structurée la meute.
Par exemple, si les garous font partie de la même famille (malédiction familiale, transmission génétique, etc.), il est assez logique d’envisager une structure de type « meute naturelle ». Peu de tension pour devenir le leader (ou alors ça vient du côté humain, les humains sont très doués pour ça…), des jeunes loups qui finissent par voler de leurs propres ailes et créer un autre territoire…
En revanche, si les garous ne sont pas apparentés (mutations, morsure au hasard, etc.), on risque de revenir à une dynamique proche de celle des meutes artificielles : un Alpha dirige sa meute (soit à cause du charisme de l’humain, soit de la force du loup, soit des deux) et les autres n’ont qu’à obéir. Dans ce cas, il y a beaucoup plus de possibilités d’avoir pas mal de conflits intrameute pour devenir Alpha à la place de l’Alpha.
Un point sur les garous solitaires. Si les loups sont des animaux sociaux, ce n’est pas le cas de l’humain, qui peut très bien décider qu’il n’a pas envie de supporter ses congénères. À voir après à quel point cela influe sur le comportement de sa partie animale !
De plus, l’aspect très mouvant des meutes de « vrais » loups (naissance annuelle de nouveaux membres et départ dans la foulée des frères et sœurs plus âgé.e.s) n’est pas retrouvable chez des humains qui se reproduisent bien moins. Les meutes de garous sont donc forcément plus stables dans la durée, avec des membres qui vont rester ensemble pendant des années, ou des dizaines d’années.
Et bien sûr, le côté humain peut venir complexifier le tableau. Après tout, les garous n’ont pas de raisons particulières de se laisser mener uniquement par leur côté animal. Alors, démocratie participative, gynocratie, dictature, anarchie… Tout est possible. Alors, autant s’amuser !
3. Et moi alors ?
J’aime les loups-garous. D’ailleurs, j’en ai dans mon projet en cours.
J’ai choisi de traiter mes loups comme une meute artificielle tempérée par la bonté de l’Alpha. Autrement dit, mon Alpha est un homme profondément gentil, qui ne voit pas de souci à récupérer tous les garous de passage, quitte à ce que ça cause quelques frictions avec sa meute. Heureusement pour lui, il a assez de charisme pour que tout le monde file droit quand même. Du moins, jusqu’à ce que ça craque…
Et mon personnage principal est pris au piège entre sa partie humaine qui ne supporte pas sa meute et veut juste se barrer… et sa partie animale qui veut une meute à tout prix. Oups !
4. Bibliographie
Sur les relations sociales dans les meutes de loups :
Sur le loup en général :
– Cet ouvrage a été partiellement traduit en français par des bénévoles et est disponible ici.
Et voilà, c’est fini pour ce premier post sur l’aspect social des meutes de loups, et la manière dont on peut s’appuyer dessus pour envisager comment construire une meute de loups-garous.
Si vous avez des questions, des informations complémentaires (ou même opposées) à apporter, des ressources ou des sources… Les commentaires sont ouverts !
Et pour retrouver le reste de la série Loups-Garous, ce sera par là !